Citation de la semaine 20
- Grégoire Taconet
- 14 oct. 2024
- 3 min de lecture

"C'est la relation qui soigne, c'est la relation qui soigne, c'est la relation qui soigne"Irvin Yalom
Irvin Yalom a publié des milliers de pages, en romans comme en essais parfois très techniques, sur les complexités et les subtilités de la thérapie. Tout ça... pour dire ça? En fait, c'est cohérent.
Un premier article de Saul Rosenzweig en 1936 ouvre la porte à l'hypothèse peu confortable que l'approche thérapeutique n'est peut-être pas le facteur principal de la réussite d'une thérapie. Son affirmation n'a pas mis fin, loin de là, aux guerres de chapelles autant qu'elle ne l'aurait dû (ça m'aurait fait des vacances quand j'étais étudiant en psychologie, et je reste convaincu que le dogmatisme nuit à tout le monde), mais des méta-analyses ont des dizaines d'années plus tard confirmé son propos : la méthode, la technique thérapeutique appliquée est plutôt loin dans la liste des facteurs d'efficacité.
Mais comment une relation avec un·e inconnu·e, un·e professionnel·le de surcroît, pourrait avoir quoi que ce soit de thérapeutique, a fortiori avoir un plus grand impact que des méthodes savamment élaborées et apprises avec rigueur et abnégation par le·a thérapeute? Pour commencer, bien entendu la méthode a de la valeur, et on peut estimer qu'un·e thérapeute impliqué·e et compétent·e, donc qui sera efficace sur l'ensemble des facteurs observables, va choisir une méthode qu'iel estime efficace et surtout s'efforcer d'ajuster sa pratique de façon pertinente ("il n'y a rien de plus pratique qu'une bonne théorie"). Mais cette idée de l'importance de la relation est loin d'être aussi insolite qu'elle peut en avoir l'air.
La psychanalyse, qu'on pourrait considérer comme la psychothérapie pionnière, accordait déjà une importance fondamentale au transfert : c'est dans la façon dont le·a patient·e perçoit l'analyste que transparaissent les mécanismes les plus cruciaux de son psychisme. Bien plus tard, la théorie de l'attachement documentera abondamment à quel point une relation saine, sécurisante, est un besoin fondamental, comparable à celui de s'alimenter ou de dormir. Les relations avec les figures de référence (le plus souvent les parents) auront un impact sur les relations en général bien sûr, mais aussi sur la confiance en soi, la prédisposition à sortir de sa zone de confort dans de bonnes conditions, la capacité à se remettre de traumatismes, ... Une relation sécure est bienveillante, stable (pas d'appréhension à avoir de se faire rejeter pour un oui ou pour un non), prévisible (les mêmes causes auront les mêmes effets)... soit ce qu'on devrait retrouver dans une relation thérapeutique!
Carl Rogers, créateur de l'Approche Centrée sur la Personne, l'avait théorisé différemment, mais a placé ces éléments au centre des dizaines d'années avant l'existence de la théorie de l'attachement. Les trois attitudes fondamentales que sont l'empathie (le·a thérapeute fait un effort actif de connexion avec son ou sa client·e), l'approche positive inconditionnelle (qui ne consiste pas, bien entendu, à être d'accord avec tout, mais à estimer que la personne a fait de son mieux avec les ressources qu'elle avait, même dans le négatif), la congruence (le·a thérapeute est une personne, et a un comportement cohérent dans l'espace thérapeutique avec ce qu'elle vit et ressent, n'aura pas une attitude qui sonne faux), pourraient résumer les conditions d'une relation sécure selon Bowlby.
Bien sûr la relation n'est pas le seul facteur. Et Mick Cooper, thérapeute existentialiste comme Yalom et habitué à une lecture très attentive de la littérature scientifique, observe que les données ne permettent pas de trancher si c'est la relation qui soigne, ou si c'est l'efficacité de la thérapie qui optimise la relation. Mais ça reste un élément bien plus fondamental qu'on ne pourrait le croire.
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